














Pour arriver à ses fins, la peinture emprunte souvent des chemins de traverse. Des enthousiasmes surgissent parfois sans qu’il soit possible de les anticiper. Personne n’aurait pu prédire que l’intérêt de Pascal Vochelet pour elle naîtrait en feuilletant les pages d’un magazine de décoration. Bachelier, le jeune Normand entre à l’Ecole nationale supérieure d’architecture de sa région, installée à Darnetal. D’emblée, il est fasciné par l’esprit poète de certains professeurs. « Je me souviens que l’un d’entre eux enterrait ses sculptures dans les jardins de l’école et les ressortait après plusieurs années. » La plupart exercent également à l’Ecole des beaux-arts de Rouen. L’enseignement même de l’architecture en est influencé. Leur approche plus artistique que technique vient conforter l’étudiant dans sa pratique de dessin et de peinture. Il commence à explorer matières et formats. Dans l’auberge de ses parents, non loin du Bec Hellouin, il montre son travail à un habitué à l’œil aguerri, le peintre russe Yuri Kuper. Timides au départ, les explorations s’affirment et les interrogations se font plus pressantes. Son DEFA en poche, il s’inscrit en Arts plastiques à l’Université de Picardie.
Le nouveau cycle de Pascal Vochelet, intitulé « Familiarité », a ceci de paradoxal que le peintre semble de prime abord s’éloigner de ce qui avait jusqu’à présent constitué le noyau de son œuvre : la représentation de la cellule familiale et, sous la quiétude apparente de son microcosme un peu lisse et sucré, les abîmes de ses non-dits, de ses tabous et de ses névroses. Il a en effet travaillé ici à partir de photographies d’inconnus prises à la dérobée dans la rue, ou sélectionnées sur Internet (quelquefois des interlocuteurs dissimulés par l’utilisation de pseudonymes) et, par le biais de ces moments volés, a imaginé l’univers de ces personnes, ce que pouvaient être leur histoire, leur environnement familier, leur généalogie fantasmatique, et même leur intériorité.
Les animaux de la série Punk Attitude, posent à travers des « passe-têtes», ces panneaux sur lesquels sont peints des personnages dont la tête est remplacée par un trou. Tout comme nous, les animaux immortalisent un instant et s’amusent à changer rapidement d’identité. L’attitude de leurs corps d’emprunt semble toujours nonchalante, figée dans un dessin travaillé « à la va-vite » en opposition au dessin des têtes. Est-ce une manière de nous décrire dans un monde de plus en plus speed, efficace, binaire ? Où est-ce une manière de nous renvoyer à notre façon d’être au monde : les mains dans les poches devant une nature en sursis ?
Chacun de ces animaux est peint à l’encre et en nous rapprochant
suffisamment, nous pouvons nous abandonner dans les traces délicates laissées par les différents outils utilisés par Pascal Vochelet (brosses, pinceaux, chiffon) pour donner une âme à ces « visages ». Car sans aucun doute, ses animaux sont proches de nous, ils respirent, éprouvent des émotions. Il me semble que dans cette galerie de portrait, Pascal Vochelet nous tend aussi le miroir d’une humanité plurielle, sensible, fragile et surtout… animale.
« Peindre un visage et s’intéresser à l’individu, avoir l’ambition de le dévoiler, d’être témoin de sa vie intérieure à une époque où des « portraits » peuplent en masse les réseaux sociaux ( là où l’intimité devient marchande à notre insu : reconnaissance faciale, géolocalisation, analyse des données) me questionne. Quel portrait me reste t-il à peindre sans exposer son propriétaire ? Comment échapper à ce système hyper-intrusif ? Dans cette perspective, et alors que j’avais envie de peindre les portraits de mes proches, j’ai collecté sur internet des photos d’individus (que je ne connais pas) ayant des caractéristiques de visages similaires. Et à partir de ces « documents », je recompose un visage qui tend vers cette personne dont je veux réaliser le portrait. C’est ce doute dans la ressemblance qui m’intéresse. Ce moment où le visage de l’autre m’échappe et commence à entrer en furtivité. » Pascal Vochelet
Techniques mixtes sur toile ou sur bois / 80x60cm
» Pascal Vochelet nous parle d’identité. Il pose un regard sur le rôle que nous avons joué au sein de notre famille, du souvenir que nous gardons des petites tragédies qui ont modelé notre psyché. Pascal Vochelet nous livre sa vision intériorisée et brute du monde de l’enfance. Le sujet pose, il est immobilisé dans l’attente, abandonné un instant, livré à lui-même. Visiblement l’adulte toujours hors champ n’appartient pas à ce monde bleu et rose.
La première étape du travail de Pascal Vochelet est la constitution d’un fond iconographique de photographies issues de son propre album, mêlées à celles d’autres familles. L’image est agrandie, numérisée, photocopiée, découpée, morcelée, disloquée. Ce processus transgressif n’est pas nouveau, rajouter un être cher sur une photographie de famille, en retirer un paria, gommer un décor, effacer des rides, sont des choses communes. Ce qui est particulier dans le travail de Pascal Vochelet, c’est que lui ne cherche pas embellir la réalité mais en dégager une esquisse.
Les compositions de Pascal Vochelet s’articulent autour d’une systématisation de cette technique de représentation. Cette mécanique s’affirme par l’acte du peintre qui déconstruit l’imagerie bourgeoise de la représentation familiale idéalisée. Le sujet n’est plus vraiment un enfant, mais un adulte qui porte les stigmates de son enfance. Son corps met en avant des disproportions, ses membres sont parfois inversés, il subit les troubles d’une croissance désordonnée. «