Pour arriver à ses fins, la peinture emprunte souvent des chemins de traverse. Des enthousiasmes surgissent parfois sans qu’il soit possible de les anticiper. Personne n’aurait pu prédire que l’intérêt de Pascal Vochelet pour elle naîtrait en feuilletant les pages d’un magazine de décoration. Bachelier, le jeune Normand entre à l’Ecole nationale supérieure d’architecture de sa région, installée à Darnetal. D’emblée, il est fasciné par l’esprit poète de certains professeurs. « Je me souviens que l’un d’entre eux enterrait ses sculptures dans les jardins de l’école et les ressortait après plusieurs années. » La plupart exercent également à l’Ecole des beaux-arts de Rouen. L’enseignement même de l’architecture en est influencé. Leur approche plus artistique que technique vient conforter l’étudiant dans sa pratique de dessin et de peinture. Il commence à explorer matières et formats. Dans l’auberge de ses parents, non loin du Bec Hellouin, il montre son travail à un habitué à l’œil aguerri, le peintre russe Yuri Kuper. Timides au départ, les explorations s’affirment et les interrogations se font plus pressantes. Son DEFA en poche, il s’inscrit en Arts plastiques à l’Université de Picardie.
A l’époque, un écho persistant affirme la fin de la peinture. Il devient difficile d’en revendiquer la pratique et de rester dans la course aux concepts. « J’ai commencé à travailler des sujets simples. Comme la pomme, par exemple. Sur des formats assez grands qui pouvaient atteindre un mètre sur deux. » Rapidement, le Plexi s’impose. Utiliser les deux faces aussi. « Je faisais des allers et retours entre le recto et le verso du support. Je m’intéressais particulièrement à la manière dont la lumière allait se poser sur l’objet et s’emparer des couleurs. » La pomme ainsi magnifiée semble prête à éclore. Les sujets se diversifient et, bientôt, l’image va se déconstruire. « Je me suis mis à découper le Plexi en plusieurs morceaux et à les travailler de façon indépendante, avant de les rassembler et de les unifier. » Une pratique qui revient régulièrement au fil des années, notamment quand l’artiste décide de s’emparer du thème de la table (série Amuse-gueule). La pomme de la Normandie, la table de l’auberge de ses parents. Il y a toujours un petit côté autobiographique dans l’œuvre de Pascal Vochelet. Puis le papier s’est imposé. Format A4. « Je faisais une mise au carreau de mon tableau, en collant des feuilles les unes à côté des autres. Seuls les visages étaient encore peints sur du plastique. Le papier et les petites têtes étaient collés soit sur toile, soit sur bois. Il y avait une très grande mixité des matières. » Les séries s’enchaînent et se chevauchent. A chaque fois, l’univers précédent pénètre le nouveau. Certains éléments voyagent de l’un à l’autre. « Il n’y a pas d’étanchéité entre les toiles. Même quand je les place dans l’atelier, je les harmonise entre elles. »
Les différents espaces de FRAMExperience bruissent. Ce soir, la table ronde traitera du thème de la collection et des nouvelles technologies. Quinchy Riya, CEO d’AnatoleTools, Vanessa Vidot, CEO de Wit Art, Camille Frasca, chargée de mission au Musée Picasso et Nicolas Kaddeche, responsable « Art et Clientèle Privée » pour Hiscox France, répondront à la question : « Comment optimiser la gestion de sa collection avec les outils numériques ? » Pascal Vochelet, quant à lui, doit prendre un TGV qui le mènera de Marseille à Paris. Il vient à la rencontre des visiteurs de FRAMExperience. Il ne reste donc plus que quelques minutes. Nous devons donc abandonner le récit linéaire de son parcours pour n’en évoquer que des fragments. « Un temps, j’ai eu plusieurs pseudos. Paul, Emile, Victor… J’avais même un site à ces trois prénoms ! » A cette époque, l’artiste vend son travail aux enchères en ligne. Il rompt avec ses pratiques, se saisit du petit format, s’amuse à dessiner tout un tas de sujets très colorés. Pour l’heure, l’essentiel est de ne pas devoir quitter l’atelier pour gagner sa vie. « Mon regard sur cette production était moins exigeant qu’à l’habitude. Il suffisait que je sois content pour la mettre en vente. Si quelqu’un l’achetait, c’est qu’il l’aimait. » Ce n’était pas votre œuvre ? « Ça l’est devenu. A force de travailler chaque jour, de chercher des idées, d’explorer des médiums, forcément le sujet de la peinture revient. J’ai puisé dans cette activité pour l’alimenter. » Et finalement, certaines séries ont beaucoup compté pour l’artiste comme les Dessins bohèmes avec leurs petits personnages, acteurs d’un monde lié à l’enfance et au rêve, à la limite de l’illustration, et la série Ascendance, constituée de portraits d’enfants qui narrent les petites et grandes épreuves au sein de la cellule familiale.
Certains de ces dessins sont repris par la suite pour créer de grandes compositions. L’artiste les scanne et réalise une trame en noir et blanc. L’enjeu est alors de recomposer, de réanimer l’ensemble. « Partir d’une forme de chaos pour revenir à l’équilibre. J’imprimais ou projetais les dessins sur papier calque et intervenais par-dessus. » Le support transparent est de retour. Pascal Vochelet s’en donne à cœur joie. Il peint le bois ou la toile qui va recevoir le papier calque, au verso de ce dernier il ajoute des figures et le colle, avant de s’attaquer au recto. Ainsi naît un jeu de transparences, signe distinctif de son travail jusqu’à aujourd’hui. Le temps presse mais tout de même. L’artiste a envie d’évoquer une autre série. « J’ai voulu une lumière quasi photographique pour ces portraits de gens aux oreilles de loup, qui interrogent l’idée de meute. La peinture raconte une histoire. » Est-ce important ? « Je ne sais pas. C’est plutôt ce qui se produit malgré moi. » Au préalable, un champ lexical se constitue. Des mots viennent s’inscrire dans un carnet ou une feuille de papier. Il suffit de les noter pour ne pas oublier. Puis une petite bibliothèque d’images se constitue. « Pour mes dernières peintures, j’ai décidé de revenir à quelque chose de plus photographique, d’abandonner l’atmosphère des contes, ces univers volants un peu à la Chagall, où le bas et le haut se confondent, pour revenir à une mise en scène plus concrète, un cadre plus théâtral. » Aussitôt pensé, aussitôt mis en application avec un travail sur la salle de bain, « lieu frontière, passage du monde de l’intime au monde extérieur ». Si la lumière est plus réaliste, les fulgurances demeurent. L’artiste se laisse happer par la peinture qui se détache sans cesse de la réalité. Puisant dans sa collection d’images, il assemble. « J’ai une vision d’ensemble mais la composition naît morceau par morceau. Ce qui me laisse la possibilité de rester ludique et de pouvoir à tout moment en retirer un pour en glisser un autre. Conserver la surprise et l’accident. Une fois tous les calques collés, je retravaille le tout au crayon, au glacis d’huile ou au lavis d’acrylique. »
Qu’est-ce qui vous importe le plus ? « La possibilité de traiter un sujet à travers la matière, de pouvoir comprendre quelle taille de pinceau va être la plus efficace, idéale, pour pouvoir peindre un bout de baignoire. La couleur. Mais je me limite et travaille les nuances. Et puis, il y a le rythme. » L’échelle aussi. Qui doit se rapprocher le plus possible de 1 pour intégrer le spectateur au format. « Lui et moi avons un parcours à faire, des choses à résoudre ensemble à travers la peinture. » Ce rapport singulier à l’autre, à celui qui regarde, Pascal Vochelet le tient probablement du spectacle vivant. « Je me suis formé à l’art du clown et petit à petit, cela m’a aidé dans mon travail de peintre. Le clown est un personnage plutôt naïf qui n’a pas de contrainte. C’est lui qui m’a poussé vers le théâtre, m’a appris à être comédien. Aujourd’hui, je suis clown à l’hôpital et participe à plusieurs créations de la compagnie Kartoffeln. Actuellement, nous jouons Icy-plage, un spectacle sans paroles et burlesque, à la Tati. »
Pascal Vochelet aime offrir des images et les façonner, pense travailler sur son inconscient. « Dans un premier temps, j’ai plaisir à créer quelque chose de formel. Je me sers beaucoup du nombre d’or, du quadrillage. J’essaie de placer mes figures de manière stratégique sur la toile pour que mon regard circule d’une certaine manière. Une fois que j’ai le découpage, l’histoire et la salle de bain, par exemple, je mets tout ça de côté pour faire raisonner l’ensemble, un peu comme un chef d’orchestre fait entendre une composition. Il y a une volonté de maîtrise au départ, mais la peinture me dépasse. » Le visiteur le sent bien. La matière, la couleur, la lumière, la composition, le sujet… tout parle de l’histoire de l’art mais rien de tout cela ne suffit à expliquer le travail du peintre qui s’empare de toutes ces étincelles et se laisse emporter. « C’est la peinture qui a le dernier mot. »