Le nouveau cycle de Pascal Vochelet, intitulé « Familiarité », a ceci de paradoxal que le peintre semble de prime abord s’éloigner de ce qui avait jusqu’à présent constitué le noyau de son œuvre : la représentation de la cellule familiale et, sous la quiétude apparente de son microcosme un peu lisse et sucré, les abîmes de ses non-dits, de ses tabous et de ses névroses. Il a en effet travaillé ici à partir de photographies d’inconnus prises à la dérobée dans la rue, ou sélectionnées sur Internet (quelquefois des interlocuteurs dissimulés par l’utilisation de pseudonymes) et, par le biais de ces moments volés, a imaginé l’univers de ces personnes, ce que pouvaient être leur histoire, leur environnement familier, leur généalogie fantasmatique, et même leur intériorité.
Par cette sorte d’effraction, Pascal Vochelet recrée ce sentiment très particulier d’intimité que l’on peut avoir pour des êtres qu’à l’heure des relations cultivées en réseau, l’on ne côtoie pourtant que virtuellement et qui, pour tout un chacun, finissent par dessiner autour de soi l’arborescence d’une nouvelle « famille », celle des « connectés », parfois aussi tangible que notre famille véritable, et dont la proximité peut aller jusqu’à modifier notre perception du réel. Car cette inspiration a beau reposer sur le virtuel, elle n’en délivre pas moins au peintre des fragments de réalité capturée, dont il souhaite précisément rendre compte de façon plus réaliste que dans ses cycles précédents, en particulier dans le traitement de la lumière, et dans des cadrages imprévus, qui rappellent leur origine photographique. Par ce détour, qui lui permet de renouveler les attendus en matière de « modèle » et de « portrait » (nulle pose en atelier ici) tout en les réinsérant dans un « récit » qui, lui, est totalement rêvé mais nous semble pourtant fort proche, Pascal Vochelet souhaite élargir le champ de représentation et refaire sien le simple fait de peindre, que le rapport au monde semble aujourd’hui avoir singulièrement mis au défi. Ces étrangers, ces inconnus, sont aussi malgré tout des « familiers » pour qui connaît l’œuvre de Pascal Vochelet : le jeu des aplats, des coulures, des collages, ou le travail au crayon de couleur, érode en effet le propos réaliste de départ, en lui conférant une forme de complexité mystérieuse tout à fait caractéristique du peintre. Surtout, il réinjecte des éléments qui appartiennent à sa mythologie propre, en particulier ces oreilles animales, qui viennent nous rappeler que toute famille, réelle ou fictive, relève d’une certaine façon de la meute primitive, dans laquelle la violence se domestique tant bien que mal, et où chaque individu doit trouver sa place. Dans certaines toiles antérieures, ces oreilles étaient clairement associées aux univers de l’enfance brimée (l’élève puni auquel on inflige un bonnet d’âne pouvant être considéré comme un double d’un peintre qui conçoit son activité comme une forme d’exclusion) et du conte cruel et féerique (cette « Peau d’âne » qui échappe à l’union incestueuse en prenant une apparence quasi animale). Ici, la référence s’épure et se met au service de la représentation et de la réappropriation d’un monde où, plus que jamais, l’étrange et le familier échangent leurs signes et finissent par se confondre.